Reportage France 3 - Mars 2020

Reportage France 3 - Mars 2020

A Neussargues, en Auvergne dans le Cantal, Jorge, un tanneur espagnol s’est lancé dans le tannage de cuir d’autruche…
Difficile de faire plus exotique ! Il est même le seul en France à pratiquer cette activité très météo-dépendante comme vous allez le voir…

leatherfashiondesign.fr - Janv 2020

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Les fabricants de chaussures, maroquiniers et grandes maisons peuvent désormais compter sur une tannerie du cantal pour se procurer des cuirs d’autruche 100% français.

C’est grâce à Jorge Soler, tanneur et taxidermiste-ostéologue, en partenariat avec une vingtaine de fermes françaises qui élèvent cet oiseau exotique pour la consommation de sa chair, que la valorisation de sa peau en circuit court est rendue possible.

Car produire du cuir d’autruche c’est un peu comme marcher sur des œufs ! Loin des grandes tanneries industrielles d’Afrique du Sud, Jorge Soler tanne, teinte et applique lui-même les finitions sur les surfaces perlées dans son atelier du Cantal. Un savoir-faire qui demande une grande dextérité et un travail d’extrême précision. Maison Soler table sur une capacité de production de 2 500 à 3 000 cuirs précieux par an, et s’est lancée dans la construction de sa propre station d’épuration. De quoi satisfaire l’exigence de qualité et de traçabilité des consommateurs de produits de luxe friands de rareté.

Maison Soler table sur une capacité de production de 2 500 à 3 000 peaux par an.
Le cuir d’autruche en bref

Les premières fermes d’élevage d’autruches apparurent XVIIIème siècle en Afrique du Sud, dont les plumes étaient très en vogue. Aujourd’hui, le pays compte plus de 400 fermes d’élevage de cette espèce acclimatée au climat chaud et sec, destinée à la production de viande. Leurs peaux sont valorisées depuis les années 60, source de revenu supplémentaire pour les éleveurs. Généralement, le tannage des peaux d’autruche exige près de 8 semaines. Les peaux sont essentiellement tannées au chrome mais elles peuvent faire l’objet d’un traitement à base de tanins végétaux. Le cuir d’autruche peut être fini dans une grande palette de couleurs, et même poli à la main à la pierre d’Agathe pour un aspect brillant. D’une surface moyenne de 144 dm², ces peausseries d’exception sont aisément reconnaissables à leurs picots qui ornent exclusivement le centre, soit un carré de soixante centimètres de côté dans le meilleur des cas, ce qui rend son usage plus difficile pour l’habillement.
Très résistant, le cuir d’autruche est une matière idéale pour la fabrication de chaussure ou de maroquinerie, petite maroquinerie, ceintures et horlogerie (bracelets de montre) ou produits quotidien exposés aux griffures et frottements. Enfin, il est dispensé du certificat CITES contrairement à la plupart des cuirs exotiques.

Rédaction Juliette Sebille

Reportage France 3 Auvergne.

Reportage France 3 Auvergne.

Jorge Soler est le seul à tanner des peaux d'autruche en France / © Fabien Gandilhon - France 3 Auvergne
Par Fabien Gandilhon

Dans le Cantal, à la rencontre du seul tanneur de peau d'autruche en France

Dans le petit bourg de Neussargues, Jorge Soler ne passe pas inaperçu. Mais ce qui le distingue dans ce coin de Cantal, ça n’est pas seulement son accent catalan, sa voix très grave ou sa carrure imposante. Son activité aussi est insolite : il est le seul en France à tanner des peaux d’autruche.

A l’origine, Jorge Soler était taxidermiste dans les arènes espagnoles. Il en a gardé une capacité à naturaliser presque tous les animaux, quelque soit leur taille. L’impressionnante vache Salers qui trône dans son showroom est là pour en témoigner. Lorsque la crise économique frappe l’Espagne en 2008, il déménage à Nîmes, où il se met à la tannerie. Mais sur place, les locaux ne sont pas adaptés à sa nouvelle activité. En 2016, il trouve son bonheur dans le Cantal en s’installant dans les anciens abattoirs de Neussargues.

De la vache à l’autruche

Au départ, il ne tanne que les peaux de mouton ou de vache, jusqu’à ce qu’il reçoive une visite inattendue, un jour de 2017 : “Un éleveur d’autruches est venu à la tannerie et il m’a dit : “il n’y a personne qui tanne l’autruche en France, pourquoi vous ne pourriez pas le faire ? Je lui ai répondu que je faisais le poil, mais pas le cuir. Il m’a dit : “nous, les éleveurs, on n’arrive pas à mettre en valeur nos peaux… Les seules filières sont à l’étranger, en Corée, en Iran …” Jorge Soler hésite. L’éleveur insiste : “Je vous apporte une quarantaine ou une cinquantaine de peaux d’autruche dans mon 4×4, si vous voulez je vous les laisse.”

Jorge Soler se laisse convaincre. « Je me suis renseigné, j’ai pris contact avec de grands tanneurs en France ou à l’étranger, et j’ai essayé … »
Les premiers essais sont peu concluants. Le cuir d’autruche a beau être résistant, la perle qui donne sa texture et sa valeur à la peau est très fragile. Dans les premiers mois, Jorge jette des centaines de peaux ratées avant de trouver une méthode qui fonctionne. 

Un processus très long

Deux ans plus tard, la petite équipe qu’il a montée autour de lui est désormais rodée. Lorsque les peaux d’autruche entrent dans l’atelier, la première étape, c’est d’enlever les plumes une par une. Ce jour là, c’est Olivier Tible, un des salariés, qui s’en charge : “C’est pas difficile mais c’est très long ! Il faut être patient !”

Il faut ensuite enlever les graisses, toujours à la main avec un grand couteau, sans abîmer la peau. Jorge fait très attention à sa matière première … « Ce qui est très important, c’est de bien les saler dès le début. Cela permet d’avoir une meilleure qualité de cuir.” Pour être certain que tout est fait selon ses voeux dès le début de la chaîne, Jorge Soler est allé former lui même les éleveurs – tous français – auprès de qui il s’approvisionne.  

Peaux autruche foulon
Les peaux passent des dizaines d'heures dans les foulons / © Fabien Gandilhon - France 3 Auvergne

Ensuite, c’est le début d’une série de bains dans les foulons, de grandes machines en bois que l’on pourrait comparer à des tambours de machine à laver géants. Les peaux vont d’abord tremper dans un mélange d’eau, de sel, d’antiseptique, puis dans des bains de produits chimiques, puis dans des teintures pendant des heures et même des jours entiers … Chaque étape est chronométrée précisément. Les remplissages, rinçages ont lieu de jour comme de nuit. “Aujourd’hui, cela va durer onze heures. Demain, il faudra une vingtaine d’heures, on devra donc être là pendant la nuit. Après, il faudra être là dix à quatorze heures par jour.”

Un secret bien gardé

Les différents produits utilisés, leurs quantités et la durée des bains sont un secret bien gardé. Même aidé par des chimistes, Jorge a mis des années à mettre au point la formule parfaite. “C’est mon petit jardin secret !” nous dit-il quand on l’interroge sur sa recette. Même ses salariés n’en connaissent qu’un partie. 

Si on ajoute les étapes de séchage, de ponçage ou de finissage, il faut à Jorge presque trois mois pour transformer une peau d’autruche en cuir. “Je crois que si personne ne veut faire du tannage de peau d’autruche, c’est parce que c’est beaucoup de travail … Il faut récupérer les peaux, le tannage est très long, l’écharnage est très compliqué … Tout est long.” 

Peau d'autruche tannee
La peau d'autruche présente une texture perlée caractéristique / © Fabien Gandilhon - France 3 Auvergne

La méthode artisanale ne permet pas de produire de gros volumes ni de concurrencer les tanneries asiatiques sur les prix. Jorge Soler se focalise donc sur la qualité, voire le sur-mesure pour des artisans maroquiniers, chausseurs ou tapissiers à la recherche de produits rares.

Mais le tanneur cantalien voit aujourd’hui plus loin : il aimerait à présent pouvoir utiliser ses peaux sur place. Il est à la recherche d’un maroquinier ou d’un tapissier qui voudrait s’installer à Neussargues à ses côtés.

La Maison SOLER dans la Presse Nationale et Internationale

La Maison SOLER dans la Presse Nationale et Internationale

Dans le Cantal, Jorge Soler sublime la peau d’autruche, un savoir-faire unique en France. Retrouvez un article AFP repris par les principaux médias.

Par afp, le 16/10/2019 à 09h00

Un air d’Espagne dans un petit coin du Cantal : avec son accent qui chante, Jorge Soler est intarissable sur le tannage de la peau d’autruche, un savoir-faire précis et délicat qu’il est le seul à maîtriser en France.
Son « showroom », installé dans l’ancienne école maternelle de Neussargues-en-Pinatelle (Cantal), village de 1.800 habitants, est aussi insolite que le personnage.

Lorsqu’il pousse la porte, le visiteur tombe nez-à-nez avec un imposant taureau qui trône au milieu d’une pièce où les peaux de bovins côtoient les têtes de chevreuil et autres bêtes à cornes exposées aux murs.
D’abord installé à Nîmes (Gard) cet amateur de corridas rejoint finalement Neussargues-en-Pinatelle où il acquiert un atelier à côté des abattoirs du village. Il y poursuit son activité de tannerie.
Puis l’aventure commence en 2017 lorsqu’un éleveur d’autruches lui propose de s’essayer au tannage de ce cuir très recherché que les grandes maisons de luxe font souvent venir d’Afrique du Sud, premier producteur mondial de ces volatiles.
Pendant un an, il « bousille » plusieurs peaux, « une catastrophe », se souvient-il. Mais il persévère jusqu’à parvenir à un produit impeccable, sans accroc.
Le chaleureux quinquagénaire à la barbichette poivre et sel montre avec fierté un portant où sont soigneusement rangées plusieurs peaux d’autruche, brillantes et perlées.
D’environ un mètre de côté, ces luxueux carrés de cuir aux couleurs variées sont utilisés pour la petite maroquinerie ou les bracelets de montres. Ils peuvent être décorés « sur mesure » affirme le Barcelonais.
– Teinture « sans métal » –
« La peau d’autruche est un cuir très délicat et en même temps très résistant. Le plus compliqué, c’est d’arriver à faire un écharnage (enlever les chairs) manuel, artisanal, sans casser les picots -la perle de la peau comme on l’appelle – qui supportent la plume », explique-t-il.
Ces picots donnent son aspect perlé à la peau, caractéristique du cuir d’autruche.
« Le risque c’est de faire des trous, la peau est alors invendable » selon lui.
Dans la salle de dépouillage, ouverte aux quatre vents -il y fait jusqu’à -7 degrés l’hiver et imprégnée d’une odeur pestilentielle, la première étape consiste donc à débarrasser la peau de son épaisse couche de graisse.
Avec un couteau, Jorge Soler -bottes et grand tablier blanc découpe habilement les morceaux de chair pour les séparer de la peau, étendue devant lui sur un instrument en bois qu’il a lui-même fabriqué, à partir d’un tronc d’arbre poncé, fixé à un support métallique.
Ensuite direction les foulons, grands tonneaux en bois pivotant comme des moulins pour tanner les peaux.
Vérification du PH, teinture, surveillance régulière : le tannage proprement dit représente « entre huit à dix heures de travail. On se relève le matin, le soir et parfois la nuit » Raconte Olivier Tible, l’un des trois employés de la « Maison Soler ».
La poudre des teintures est garantie « sans métal »: pas de chrome, pas d’aluminium. Et la petite entreprise s’est lancée dans la construction d’une station d’épuration « zéro rejet toxique » qui doit être opérationnelle en 2020.
« De la peau salée brute au produit fini, il faut environ un mois et demi, deux mois de travail », assure M. Soler.
Désormais, une dizaine d’éleveurs désireux de favoriser les circuits courts font appel à lui.
Mais il ambitionne de vendre ses peaux finies directement aux maroquiniers, mettant en avant le « made in France », voire de produire lui-même de la petite maroquinerie. « Nous avons les capacités de fabriquer 2.500 à 3.000 peaux par an », assure-t-il.